Version française
Art contemporain: disparition du fondateur d’Afronova, Henri Vergon
Pour RFI
Le critique d’art sud-africain Sean O’Toole est le premier à avoir pris sa plume pour rendre un vibrant hommage à Henri Vergon, figure incontournable du Johannesburg artistique. Retraçant le parcours de ce Français devenu Sud-Africain dans l’âme, au point de se faire appeler Henri « Nkosi » Vergon – un prénom sud-africain répandu – il cite une interview que le jeune galeriste avait donnée en 2006 au sujet de son pays d’adoption. « Je suis né de nouveau ici. Je suis devenu un nouvel homme. Tous ceux que je rencontrais étaient complètement ouverts. Tous avaient été fragmentés par l’histoire récente. Ils se questionnaient : d’où venaient-ils, qu’avaient fait leurs pères ? Ils essayaient de faire sens et de s’octroyer une place dans l’avenir, en construisant un nouveau monde. J’ai jeté toutes mes anciennes carapaces et j’ai sauté tête en avant dans la même piscine ».
Une galerie à Newtown
Né à Bruxelles en 1968, Henri Vergon avait un passeport français, mais il était un citoyen du monde. Bien avant de tomber amoureux de sa femme au début des années 2000 au Japon, il s’est établi en 1995 à Johannesburg, après un tour à New-York, en pleine euphorie post-apartheid. Il a quitté son emploi à l’Institut français de Johannesburg pour lancer en 2005 sa galerie, Afronova, dans le quartier culturel de Newtown. « Les gens lui disaient : ‘Tu es fou ! Les riches ne vont pas à Newtown, c’est un coupe-gorge‘ », se souvient Emilie Démon, sa femme et partenaire franco-japonaise.
A l’époque, l’explosion de l’art contemporain africain sur la scène internationale n’en était qu’à ses débuts. Le marché tournait autour de deux ou trois galeries historiques et huppées en Afrique du Sud, qui ne faisaient plus l’affaire pour la création contemporaine. Henri Vergon s’est inscrit dans un renouveau porté par plusieurs autres galeries nées à la même époque, comme Momo à Johannesburg.
Sa vitrine était stratégiquement située face au Market Theater, l’une des plus grandes institutions culturelles du pays. Henri Vergon a rapidement établi sa notoriété avec flair, enthousiasme, et une loyauté à toute épreuve envers les artistes. Il n’a pas seulement montré pour la première fois en Afrique – hors du Mali – le grand photographe Malick Sidibé, en collaboration avec le marchand d’art français André Magnin. Il a aussi découvert l’une des artistes devenue les plus cotées du marché sud-africain, Billie Zangewa.
Une philosophie de la fête et de l’inclusion
Contraint de fermer sa galerie en raison des travaux de rénovation entrepris à Newtown, Henri Vergon l’a déplacée à la fin des années 2000 dans le quartier – autrefois administratif – de Braamfontein, à la sortie du centre-ville. Au début, Afronova représente une adresse phare de la zone, qui ne tarde pas à se « gentrifier » avec les développements immobiliers. « En 2014, ça ne nous intéressait plus de voir passer des gens avec leurs bières bio, raconte Emilie Démon. On s’est dit qu’on aller injecter l’argent du loyer de la galerie dans les artistes, pour voyager avec eux et les accompagner différemment ».
Au lieu d’attendre à Johannesburg des directeurs de musée et des commissaires d’expositions anglais et américains, Henri Vergon a investi pour aller avec les artistes à leur rencontre. La galerie est ainsi devenue « virtuelle » avant l’heure, son patron continuant néanmoins ses fêtes épiques. Il a longtemps organisé des dîners d’artistes très courus, tous les vendredis soir au restaurant mythique du Gramadoelas, haut-lieu de la cuisine sud-africaine niché à l’entrée du Market Theatre.m’abonne
Dans sa villa au toit bleu de Parkhurst, un quartier bohème de la banlieue résidentielle de Johannesburg, Henri Vergon a poursuivi ses fêtes d’anthologie, où il accueillait les artistes de tous les horizons, y compris ceux d’autres galeries.
Des artistes dont la cote n’a cessé de grimper
Cet homme jovial et généreux, qui aimait lire le journal en prenant son café le matin, « un peu old-fashion dans ses manières de gentleman », dit sa femme, a énormément compté dans la carrière de jeunes artistes femmes comme Lebohang Kganye et Senzeni Marasela, mais aussi de Lawrence Leaomana. Cet artiste né en 1982 à Johannesburg est aujourd’hui connu pour ses toiles brodées à teneur hautement politique. Elles portent des messages tels que : « I did not join the struggle to be poor » (Je n’ai pas rejoint la lutte contre l’apartheid pour être pauvre), ou encore « Les idiots se multiplient lorsque les hommes sages gardent le silence ».
« Lorsqu’on a commencé à travailler avec Lawrence, il était persuadé qu’il était un has-been, témoigne Emilie Démon. A la foire 1-54 à Londres, il a fait un carton qui lui a permis de payer sa lobola (dot) et de se marier ». Ses toiles s’arrachent aujourd’hui aux alentours de 9000 euros. La Fondation Louis Vuitton en a acheté sept d’un coup.
L’influence de Henri Vergon a dépassé le cadre de sa propre galerie, puisqu’il se faisait un plaisir de faire visiter « son » Johannesburg à tous les curators, directeurs de musée et étrangers culturels de passage. Sa vision ouverte sur le monde, en fin connaisseur des enjeux politiques qui sont ceux de l’art africain, a notamment laissé une profonde empreinte sur l’exposition « Being There » consacrée en 2017 à l’art contemporain africain par la Fondation Louis Vuitton, à Paris. « Sa spécificité, c’est qu’il voulait faire rayonner Johannesburg et les artistes, sans cloisonner et se contenter de ceux d’Afronova. C’est tellement rare que les gens apprécient ». Emilie Démon reprend le flambeau à la tête d’Afronova et va faire vivre la passion de Henri Vergon.
English version by Teller Report
The South African art critic Sean O’Toole is the first to have taken up his pen to pay a vibrant tribute to Henri Vergon, a key figure in artistic Johannesburg. Tracing the journey of this Frenchman who became South African at heart, to the point of calling himself Henri « Nkosi » Vergon – a common South African first name – he quotes an interview that the young gallery owner had given in 2006 about his country of adoption. » I was born again here. I became a new man. Everyone I met was completely open. All had been fragmented by recent history. They wondered: where did they come from, what had their fathers done? They were trying to make sense and take a place in the future, by building a new world. I threw away all of my old shells and jumped forward into the same pool . ”
A gallery in Newtown
Born in Brussels in 1968, Henri Vergon had a French passport, but he was a citizen of the world. Long before falling in love with his wife in the early 2000s in Japan, he settled in 1995 in Johannesburg, after a trip to New York, in the midst of post-apartheid euphoria. He quit his job at the French Institute in Johannesburg in 2005 to launch his gallery, Afronova, in the cultural district of Newtown . “ People said to him, ‘ You are crazy! The rich do not go to Newtown, it is a cut-throat ‘, remembers Emilie Démon, his wife and Franco-Japanese partner.
At the time, the explosion of contemporary African art on the international scene was still in its infancy. The market revolved around two or three historic and upscale galleries in South Africa, which were no longer suitable for contemporary creation. Henri Vergon is part of a revival carried by several other galleries born at the same time, like Momo in Johannesburg.
Its window was strategically located opposite the Market Theater, one of the largest cultural institutions in the country. Henri Vergon quickly established his notoriety with flair, enthusiasm, and a foolproof loyalty to artists. He did not only show for the first time in Africa – outside Mali – the great photographer Malick Sidibé, in collaboration with the French art dealer André Magnin. He also discovered one of the most highly rated artists on the South African market, Billie Zangewa.
A philosophy of celebration and inclusion
Forced to close his gallery due to the renovation work undertaken in Newtown, Henri Vergon moved it in the late 2000s to the – formerly administrative – district of Braamfontein, just outside the city center. At the beginning, Afronova represented a flagship address in the area, which wasted no time in « gentrifying » with real estate developments. » In 2014, we were no longer interested in seeing people pass by with their organic beers, » says Emilie Démon. We thought we were going to inject the money from the gallery’s rent into the artists, to travel with them and accompany them differently ”.
Instead of waiting in Johannesburg for museum directors and curators of English and American exhibitions, Henri Vergon invested to go with the artists to meet them. The gallery thus became “virtual” before the hour, its boss nevertheless continuing its epic celebrations. He has long organized very popular artists’ dinners, every Friday evening at the legendary Gramadoelas restaurant, a Mecca for South African cuisine nestled at the entrance of the Market Theater.
In his blue-roofed villa in Parkhurst, a bohemian neighborhood in the residential suburb of Johannesburg, Henri Vergon continued his anthology parties, where he welcomed artists from all walks of life, including those from other galleries.
Artists whose ratings have continued to climb
This jovial and generous man, who liked to read the newspaper while having coffee in the morning, » a little old-fashion in his manners gentleman « , says his wife, has enormously counted in the career of young female artists like Lebohang Kganye and Senzeni Marasela, but also of Lawrence Leaomana. This artist born in 1982 in Johannesburg is known today for his highly political embroidered canvases. They carry messages such as: » I did not join the struggle to be poor » (I did not join the struggle against apartheid to be poor), or » Idiots multiply when wise men remain silent «
“ When we started working with Lawrence, he was convinced that he was a has-been, says Emilie Démon . At the 1-54 fair in London, he made a box that allowed him to pay his lobola (dowry) and to get married ”. The Louis Vuitton Foundation bought seven at once.
The influence of Henri Vergon went beyond the framework of his own gallery, since he was happy to show “his” Johannesburg to all curators, museum directors and cultural foreigners passing through. His vision open to the world, a fine connoisseur of the political issues that are those of African art, notably left a deep imprint on the exhibition « Being There » devoted in 2017 to contemporary African art by the Louis Vuitton Foundation , in Paris. “ Its specificity is that it wanted to make Johannesburg and the artists shine, without partitioning and being content with those of Afronova. It’s so rare that people like it . ” Emilie Démon takes up the torch at the head of Afronova and will bring to life the passion of Henri Vergon.